L'oeil d'un chef inspiré

Chef Alain Biles, Disciple Escoffier Provence
Auteur de:
La cuisine des gens de la nuit
La cuisine simple du cabanon
Recettes gourmandes autour de la truffe

En collaboration avec Patricia Richer :
La francophonie s’invite en cuisine
La Cuisine du soleil
De la cuisine à l’écriture, voici un bien joli nom pour ce blog, créé par ma consœur et amie Patricia Richer.

Depuis « Le Viandier » de Guillaume Tirel dit Taillevent, 1er livre de cuisine écrit au XIIIème siècle, l’art culinaire n’a cessé d’être gravé sur les tablettes. Du simple cahier de la maîtresse de maison, où les recettes se transmettent de mère en fille, jusqu’aux ouvrages des grands chefs, la connaissance se transmet et se perpétue par l’écriture.

La gastronomie, qu’elle soit populaire ou élitiste, n’est que le reflet de la société et de sa façon de vivre. La littérature culinaire a été le reflet de son évolution.

Les praticiens du 19ème siècle, tels Antonin Carême, Urbain Dubois et j’en passe, on fait connaitre en leur temps une cuisine pompeuse et riche, dressée sur des socles et garnies de hâtelets, qui correspondait aux attentes et aux besoins de l’époque. Une cuisine certes magnifique, mais aujourd’hui désuète, qui nécessitait beaucoup de manipulations et de personnel, et qui arrivait parfois dans l’assiette du convive dans des conditions de chaleur et de présentation médiocres.

Au début du 20ème siècle, Auguste Escoffier, précurseur en son temps, entreprit d’alléger et de répertorier les préparations culinaires afin de les adapter à son temps. Les éditions successives de son fameux « Guide Culinaire », véritable outil à la disposition du cuisinier, se sont enrichies et modernisées au fil du temps.
Comment ne pas admirer son avant-propos, monument d’humanisme et de philosophie, tellement d’actualité encore de nos jours.

« L’art culinaire, par la forme de ses manifestations, dépend de l’état psychologique de la société. Il suit nécessairement et sans pouvoir s’y soustraire les impulsions qu’il reçoit de celle-ci ».
« En matière de cuisine, il n’y a pas des principes, il n’y en a qu’un, qui est de donner satisfaction à celui que l’on sert ». (Introduction 2ème édition, 1907.)

Ce fût l’âge d’or de la cuisine classique, dite aussi « cuisine de palace », qui régnât sans partage sur la restauration jusqu’à la fin des années 50. A ce moment-là, les restrictions terminées, les marchés de nouveau bien approvisionnés, la cuisine s’est démocratisée. Praticiens et gastronomes ont pris la plume, tels Ali-Bab, Curnonsky, Pellaprat, Edouard de Pomiane et son « Code de la bonne chère » pour ne citer que les plus connus. Ce fût aussi l’époque des premières émissions culinaires télévisées (comment ne pas penser à Raymond Oliver et à ses crêpes !) qui ont lancé la mode de la cuisine et de la gastronomie.

Dès le début des années 70, inspirée par Bocuse, Guérard, Troigros, Haeberlin, Vergé, Senderens et consorts, avec la complicité d’Henri Gault et Christian Millau, la « Nouvelle Cuisine » vint rebattre les cartes. Tous ces chefs ont à leur tour fait connaitre leur savoir-faire dans de nombreux ouvrages, mettant la cuisine au goût du jour. Priorité au produit, sauces allégées, dressage harmonieux à l’assiette.

Ces principes sont plus que jamais d’actualité aujourd’hui. De nouveaux produits apparaissent sur les marchés, on assiste d’autre part à un essor de l’agriculture paysanne raisonnée ou bio. Le consommateur ne veut plus du poulet de batterie, du veau aux hormones et des légumes hors sols gorgés de produit chimiques. Les chefs actuels, comme leurs aînés, partagent leurs recettes, ainsi que les nouvelles techniques qu’ils utilisent, mettant à profit les avancéesUn mot maintenant sur la forme. La richesse de notre cuisine n’a d’égale que la richesse de notre langue, qui est capable d’en exprimer les nuances les plus subtiles.

L’immense majorité des ouvrages culinaires sont écrits par de belles plumes, énonçant avec clarté, précision et poésie les gestes à accomplir. L’académisme cède le pas à l’émotionnel et au ressenti, laissant apparaitre la sensibilité de l’auteur.
« Colorer mais sans trop », « Cuire à frémissement », « Beurrer grassement »…. De la prose qui émoustille l’imagination du lecteur, tout en lui donnant des directives précises. Des mots simples qui chantent et qui font rêver.

Mais les chefs n’écrivent pas que des recettes. Au travers d’elles, on découvre leurs origines familiales, leur vocation, leur parcours, leur région de naissance ou d’adoption.

Comment ne pas penser à notre ami Gui Gedda, « Pape de la cuisine provençale », à ses anecdotes, à ses historiettes et à ses coups de gueule qui émaillent les pages de ses livres. Ses recettes n’en sont que plus compréhensibles pour le lecteur, qui s’imprègne de sa personnalité extraordinaire. La cuisine se teintant de poésie, d’humour et de verve méridionale.

A mes yeux, il n’est pas exagéré de parler de littérature culinaire. Je n’ai certes pas la prétention d’être un écrivain, je m’efforce de faire partager sans pédantisme mes recettes ainsi que l’art de vivre et les traditions culinaires de notre belle Provence.

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